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LE MESSAGER N?1299 - MERCREDI 05 DECEMBRE 2001

 

CULTURE

 

FANTA ou ...

 

Le combat de Joséphine Bertrand

 

1 h l5 mn sous format 35 mm. Fanta de Joséphine Bertrand-Tchakoua est un long métrage qui pose de manière originale la problématique des couples mixtes. Le film est annoncé à Douala le week-end prochain. Découverte.

 

L'action s'ouvre sur Fanta, une jeune sénégalaise, dans une ruelle parisienne, devisant avec deux de ses camarades de l'école de théâtre, Dédé, un emmerdeur, et Vincent, un esprit très sociable. Fanta est mariée à Lucas, un jeune photographe français installé à Paris, mais le couple tire le diable par la queue. Ce mariage entre la jeune Africaine et le jeune Français irrite Annie, la soeur de ce dernier qui accuse faussement Fanta d'avoir épousé Lucas pour son argent. Elle navigue entre commérage et marahoutisme, pour "descendre" sa belle soeur Fanta, mais revers de la médaille : elle manque de peu de sacrifier la vie de son frère à l'autel de la magie noire

La rencontre de deux mondes
Dans le couple même, la galère ouvre les vannes à la mésentente permanente. Le couple Fanta-Lucas, est tout le temps sur les nerfs. Il se chamaille, même pour des broutilles. Un jour, cependant, il vient à l'esprit de Lucas de faire poser sa femme pour un bouquin de choc qui les sortirait de la misère. Chose faite, mais il lui faut un contrat d'édition. Et c'est la où l'attente s'enfonce et se noie dans un suspense qui se dénoue avec la signature d'un contrat d'édition mirobolant. Le livre est vendu à un million d'exemplaires en une semaine. En même temps, la pièce de théâtre de Fanta obtient des financements pour sa première représentation. Mais Lucas doit pouvoir faire face à un nouveau drame sentimental: son éditeur, un Français comme lui, est amoureux de Fanta !

Fanta (le film) est en fait la rencontre de deux mondés: l'Afrique, à travers Fanta (l'actrice) et son frère Stanislas Diop (amant d'Annie, soeur de Lucas) et Lucas lui-même. Ces personnages n'introduisent pas forcément un choc des cultures. Mais ils posent inéluctablement la problématique des couples mixtes et de l'intégration sociale dans une France capitaliste. Aux piliers Liberté, Egalité et Fraternité de la démocratie française, Fanta en ajoute un pour une interpellation des consciences : la Mixité. Entre humour et angoisse, en effet, le film narre la chronique du mariage mixte Lucas-Fanta. La mixité est-elle un bon mariage? Jusqu'où doit-on aller dans le désir d'intégration? Qu'est-ce qui peut pousser un Blanc à épouser une Noire et vice-versa?

Joséphine Bertrand-Tchakoua n'est pas la première auteur camerounaise à faire de la mixité le thème central de son oeuvre de création. Calixte Beyala l'a fait d'aussi très belle manière dans son dernier roman, Amours sauvages, Grand prix dé l'Académie française, paru en 1999 chez Albin Michel.

Fanta n'est pas non plus un film dérangeant ou politiquement incorrect. Mais il est émouvant, captivant par des plans d'images tantôt en paysage, tantôt en portrait. Les gros plans alternent avec les autres pour restituer des images claires, nettes et contrastées en fonction des situations dramatiques. Ces images défilent dans une linéarité traduisant à la fois les richesses séquentielles et l'homogénéité thématique. Film de fiction certes, Fanta révèle cependant une mission sociale implicite et de portée historique (rapport Europe-Afrique), ontologique (l'âme a-t-elle une couleur raciale?) et existentielle (la survie dans une société capitaliste et raciste).

Comme quoi, Joséphine pense le cinéma comme Nadine Gordimer, Prix Nobel sud-africain, pense la littérature :"raconter des histoires, oui, mais à conditions qu'elles soient enracinées dans une vision du monde et dans un combat ". Et le combat pour Joséphine tout comme pour Calixte Beyala et Nadine Gordimer est ici celui de l'intégration des races.

Dire que cette réalisatrice de Fanta est une Africaine, de surcroît une Camerounaise est digne d'intérêt. Car le style est plutôt français, même si l'esprit du film est africain. Mais cela s'explique par le fait que Joséphine comme cinéaste est un pur produit de l'Actorat, de l'Ecole supérieure du spectacle et du cours Florent (la plus célèbre école de comédie à Paris). En dépit de son style français caractérisé par l'hégémonie du texte sur l'action, la pudeur dans le jeux et les subtilités linguistiques débouchant parfois sur des quiproquos ("secret de Polichinelle"), le film jouit d'une africanité indubitable!e marquée par des mots du type "jansan", sous-tendue par des musiques africaines composées par Joséphine elle-même (dombolo) et le Centrafricain Aggas Zokoko (rumbazouk).

Un film de synthèse
Mais contrairement . aussi à la douceur du film français, Fanta est un film violent, Une violence qui se situe non pas dans l'action comme à Hollywood, mais dans le verbe, l'adjectif et le texte, On y a des mots osés tels que les "couilles en or" et "mon cul...". Dans leurs conversations donc, jamais de tendresse entre Lucas et son épouse!

Cette synthèse entre la violence hollywoodienne, la subtilité française et le ton africain marque la différence entre Joséphine Bertrand-Tchakoua et d'autres cinéastes camerounais et africains. Ce long métrage qui est le deuxième long métrage camerounais signé d'une femme après celui de Yolande Ekoumou (2000), reste le premier long métrage féminin camerounais à être paru en salles au Cameroun et à l'étranger (Burkina Faso). Avec un budget de réalisation de plus de 100 millions de francs cfa (ce n'était pas suffisant), Fanta constitue un véritable défi relevé par cette jeune camerounaise qui a beaucoup appris sur le terrain des initiatives, qui a beaucoup à dire sur l'environnement social du film au Cameroun, et qui se révolte contre les réseaux maffieux camerouno-français de la production culturelle.

Quelques petites remarques cependant : les personnages de Stanislas Diop et Fanta sont présentés comme des sénégalais. Mais à notre avis, ils ont plutôt des gueules de Camerounais, d'Africains du Centre plutôt que de l'Ouest. Les talents de la réalisatrice buttent aussi sur la modicité des moyens qui la limite dans l'enrichissement des décors où elle crée difficilement de véritables situations paranormaux dans des séquences comme celle du marabout incarné par un Yéménite. Pourtant, ces remarques n'enlèvent rien à la pertinence du thème, à l'entrain qu'on a face à ce film tourné avec des comédiens de métier, au talent et au mérite de Joséphine Bertrand-Tchakoua qui entre au cinéma par la grande porte en tant qu'actrice et réalisatrice.

Après Le Capitole à Yaoundé il y a deux semaines, rendez-vous est pris avec cette jeune femme et son oeuvre ces vendredi 7 et samedi 8 décembre au Cinéma Le Bonapriso à Douala).

 

Henri FOTSO

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