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JOSEPHINE BERTRAND TCHAKOUA

 

«Les salles de cinéma ne sont pas des amphithéâtres»

 

 

La sortie commerciale du film «Fanta» de la réalisatrice d'origine camerounaise, Joséphine Bertrand Tchakoua, s'est effectuée au ciné Burkina vendredi 3, samedi 4 et dimanche S août 2001. Sélectionné au dernier FESPACO, le film «Fanta» veut actuellement réussir sa carrière commerciale. Sidwaya a rencontré la réalisatrice qui a entrepris avec détermination la promotion de son premier long métrage tout en préparant son second film. Joséphine Bertrand Tchakoua, qui ne mâche pas ses mots, parle de la promotion des films africains et des difficultés que rencontre le cinéma du continent

 

Sidwaya (S.): Parlez-nous de la promotion de votre film «Fanta» qui est actuellement en sortie commerciale à Ouagadougou?

Joséphine Bertrand Tchakoua (J.B.T ) : Je dois d'abord dire que mon film n'a pas bénéficié de subventions. C'est un film que j'ai fait à la force de mes bras. Je suis donc obligée de tout faire pour que le film soit vu dans le maximum de salles possible.

Dans chaque pays où je me rends, je vois dans quelle mesure je peux y laisser une copie de mon film. Je ne viens pas dans un pays pour une ou deux projections. Je préfère laisser une copie du film pour deux ou trois mois. C'est ainsi que je me déplace pour ma promotion. Je crois que c'est la première fois qu'un réalisateur africain qui a fait un film par ses propres moyens, essaie de faire une promotion mieux qu'un film qui a été subventionné. Il faut savoir que les gens qui subventionnent un film africain ne se préoccupent pas en général que le film soit vendu ou pas. Leur problème, c'est d'avoir une bobine pour leur cinémathèque ou pour des projections dans les salles spécialisées avec les ethnologues ou des «spécialistes», du cinéma africain. C'est ainsi qu'on veut nous canaliser dans une façon de faire le cinéma qui, excusez du terme, emmerde tout le monde et qui ne nous rapporte pas d'argent.

Ceux qui subventionnent les films, la coopération française, section cinéma, par exemple, se fichent de la promotion après la réalisation. Ils ne subventionnent pas les films africains pour qu'ils fassent des bénéfices. Leur intérêt, c'est que nous fassions des films pour satisfaire leur exotisme.

Quelquefois, on impose même le contenu du film. J'ai vu écrire noir sur blanc dans les conditions d'obtention des subventions que le film doit avoir une forte identité culturelle africaine. Tout le monde sait que quand des gens parlent de forte identité culturelle africaine, il ne s'agit ni plus ni moins que des danses au village, des histoires de villageois ou de produits envoyés pour des sinistrés qu'on détourne allègrement. Pour moi, ces films ne sont que des films d'informations, des reportages. C'est du tout sauf du cinéma. J'interpelle donc les cinéastes africains afin qu'on sorte du ghetto. Les gens ne vont jamais venir subventionner nos films pour nous permettre de créer une industrie cinématographique. -C'est de bonne guerre après tout.

S.: Est-ce tacite pour une femme africaine d'être réalisatrice dans ces conditions ?

J.B.T : Pour une femme africaine comme moi, c'est non. Je rencontre beaucoup de gens et il peut m'être facile de faire un film si je veux utiliser mon statut de femme. Mais moi, je mets mon continent en avant On nous fait faire des choses qui nous dévalorisent. Si les Africains s'organisent, ils peuvent financer leurs films eux-mêmes sans avoir besoin des subventions souvent dégradantes. Il faut d'abord savoir quel genre de films il faut faire pour qu'ils soient rentables.

Il ne faut pas prendre les cinéphiles pour des cons en faisant des films trop éducatifs. Il faut savoir faire passer des messages à travers des films qui plaisent au public. On n'a pas besoin de jouer au maître d'école. Une salle de cinéma n'est pas un amphithéâtre. A force de faire genre de films, on finit par faire croire aux autres que l'Africain est lent à comprendre, qu'il faut tout simplifier pour lui, que nous n'avons pas d'humour. Ce qui est faux. L'Africain a un sens de l'humour très poussé, très raffiné. L'Africain est très subtil.

Les Etats africains doivent prendre leurs responsabilités pour développer l'industrie cinématographique parce qu'il y a un marché. Nous avons un potentiel important de cinéphiles. En s'unissant, les Africains sont capables de financer leurs films. Ils ont les moyens et le marché existe. Il faut imaginer un mécanisme de financement de nos films. Si l'Afrique veut sortir du sous-développement cinématographique, elle doit financer ses films parce que le cinéma est une industrie rentable. Il faut donc être conséquent et investir dans ce secteur. Et personne d'autre ne le fera à la place des Africains.

Propos recueillis par Hamado NANA

Sidwaya - 8 août 2001

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